Une violence faite à une seule... #MeMySexe And I® [LA CHRONIQUE]
Une violence faite à une seule est une violence faite à toutes.
Déclinaison personnelle du slogan de la lutte pour les droits civiques,
“Une attaque contre un est une attaque contre tous”
, cet adage représente l’idée que je me fais d’un féminisme politique. Et personnel.
Ce qui est fait d’injuste, d’intolérable, de répréhensible à une autre femme dans ce monde, l’est aussi pour moi.
Nul besoin qu’elle ait la même couleur de peau, vienne du même milieu culturel, ait mon âge, me ressemble.
Dès le moment où elle soumise à un traitement indigne, inégalitaire, stigmatisant parce qu’elle est fille ou femme, je me sens visée. Susceptible d’être à sa place si le hasard de la naissance et du destin ne m’en avait pas exemptée.
C’est avec ce précepte à l’esprit que j’ai à plusieurs reprises cette semaine communiqué sur les réseaux à propos du défi en noir et blanc, #ChallengeAccepted. Un "challenge" qui faisait fureur sur les réseaux sociaux et s’avérait initialement être une mobilisation contre les féminicides en Turquie.
Le principe de ce défi? Les femmes turques postaient des photos d’elles en noir et blanc, comme c’est l’usage sur les médias du pays quand une femme est tuée, pour montrer qu’elles pourraient toutes être les prochaines à subir ce sort. Une façon d'alerter l'opinion publique, qu'un matin, la femme dont elle pourrait bien découvrir le visage sur son écran, dans la presse ou les réseaux aurait des traits familiers. Ceux d'une soeur, d'une mère, d'une fille, d'une meilleure amie ou d'une collègue de travail.
Parce que les chiffres nous désensibilisent, mettre un visage dessus, SON PROPRE VISAGE, c'est rappeler que chaque jour des femmes meurent aux mains de leurs maris, de leurs pères, de leurs frères, ou de leurs ex-copains, ou sont tuées par des hommes inconnus parce qu'elles sont femmes.
Qu'il pourrait s'agir de nous.
La Turquie détient l'un des plus importants taux de féminicides en Europe. En 2019, on y a dénombré plus de 450 femmes tuées.
Officiellement
.
Officieusement, une grande partie de ces meurtres ne sont pas reportés et on ignore en vérité le chiffre réel des féminicides dans le pays.
Depuis plusieurs semaines, les autorités turques annoncent souhaiter dénoncer #LaConventiondIstanbulconsidéré comme le traité international le plus avancé en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Toutes les formes de violences, physiques comme psychologiques, y sont prévues.
Y compris les crimes dits "d'honneur", soit l’assassinat d’une femme sous prétexte de préserver l’honneur de la famille ou de la communauté.
Sous prétexte qu'elle "perturberait" la structure familiale, les membres du parti de la justice et du développement (AKP) souhaitent que la Convention soit révisée en soulignant 2 points posant problème :" la question du genre" et "le choix de l'orientation sexuelle". Ouais, vous pouvez tousser…
Mardi 21 juillet, suite au meurtre d'une jeune femme dans l'ouest de la Turquie, Pinar Gültekin assassinée sauvagement (étouffée, brûlée et ensevelie sous du béton) par son ex petit ami, des manifestations ont eu lieu pour demander l'application de la Convention d'Istanbul.
Juste pour le mois de juillet, 40 femmes ont été tuées en Turquie. Jeudi 30 juillet à ce décompte macabre est venu s’ajouter le nom de Süheyla Yılmaz, 28 ans, mère d'une fillette de 5 ans, qui a été poignardée et tuée par son ex-mari (qui s'est enfui avec l'enfant).
En France, depuis le 1er janvier 2020, c’est 57 femmes (au 31 juillet) qui ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint.
C'est dans ce contexte global de violences faites aux femmes que s'inscrivait l'action initiale créé sous le hastag challengeaccepted, dont le nom à l’origine est:#WomenSupportingWomenChallenge.
Personne ne sait comment c'est devenu le trending hollywoodien qui a soudain envahi les réseaux sociaux et invisibiliser l'action menée par les femmes et les filles Turques. Les posts initiaux étant libellés en turc et non en anglais, il est possible que la langue ait peut être oeuvré à la confusion et permis la récupération d’un challenge au dessein si grave et important.
Toujours est-il que les filles et les femmes turques ont aujourd’hui besoin de nous, besoin de voir leur action relayée, diffusée sur les réseaux sociaux et le #ChallengedAccepted recouvrer le sens qu’elles lui conférait.
Que vous ayez ou non pris part au challenge, si vous souhaitez les soutenir, la pétition Change.org pour le maintien de la Turquie au sein de la Convention d’Istanbul est
à
signer ici
. Prochain objectif : 500 000 signataires!
Partagez le défi en noir et blanc en sachant ce que vous partagez. Et si vous le faites, utilisez les hashtag suivants qui permettront de faire résonner les voix des filles et des femmes turques:
#pinargültekin
#istanbulsoezlesmesiyasatır
(keep the istanbul convention)
#kadıncinayetlerineson
(put a stop to gender based violence)
Merci!
Axelle
—LES DEMI -SOEURS DE CENDRILLON
[ TONI MORRISON ]
Lors d’un discours de cérémonie de remise des diplômes à la faculté Barnard, en mai 1979, l’autrice Toni Morrison est revenu sur le trouble que lui avait toujours inspirée le conte de Grimm, “Cendrillon”.
“ Ce qui est troublant, dans ce conte de fées, c’est qu’il s’agit essentiellement de l’histoire d’une maisonnée - d’un monde s’il vous plaît - de femmes rassemblées et unies afin de maltraiter une autre femme.”
Particulièrement interpellée par la figure des demi-soeurs, elle écrit
“ Comme il a dû être handicapant, pour ces jeunes filles, de grandir avec une mère qui asservissait une autre fille, de regarder et d’imiter cette mère”
.
Faisant une analogie entre ce qui était désormais accessible aux étudiantes devant elle de par leur cursus universitaire et le statut des demi-soeurs du compte, elle leur tient le discours suivant:
La fonction de la liberté selon elle, c’est de libérer quelqu’un d’autre. Évoluez vers l’épanouissement de soi-même devrait avoir pour conséquence de nous faire découvrir qu’il existe quelque chose de tout aussi important que nous-même, et que cette chose tout aussi importante peut être Cendrillon, ou bien notre demi-soeur.
“En poursuivant vos ambitions les plus élevées, ne laissez pas votre sécurité personnelle diminuer la sécurité de vos demi-soeurs. En exerçant le pouvoir qui vous revient par votre mérite, ne lui permettez pas d’asservir vos demi-soeurs. Laissez votre puissance émaner de cet endroit en vous qui nourrit et qui est attentionné.”
… Puissions nous en rappeler et accepter le challenge consistant à ne pas seulement être libre, mais vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté de nos soeurs et demi-soeurs.
—QUAND JE SERAI GRANDE , JE SERAI LIBRAIRE
[ CRIME D’HONNEUR]
Elif Shafak est l’une de mes autrices préférées de la terre entière ( oui je sais, je le formule comme les enfants, mais elle et moi, c’est un coup de foudre de cet ordre là, depuis ma première lecture).
Son ouvrage, “Soufi mon amour”
est au nombre de mes livres de chevet, de ces indispensables que je relis une fois par an pour et que j’ai offert ou recommander à foison dans mon entourage.
Fille de diplomate, cette écrivaine turque à la renommée mondiale est née à Strasbourg et a passé son adolescence en Espagne, avant de revenir en Turquie.
“ Quand j’avais sept ans, nous vivions dans une maison de verre. Un de nos voisins, un tailleur de talent, battait souvent sa femme. Le soir, on écoutait les criss, les pleurs, les insultes. Le matin, on vaquait à nos occupations habituelles. Tout le voisinage prétendait n’avoir rien entendu, n’avoir rien vu.
Ce roman est dédié à ceux qui entendent, à ceux qui voient.”
Voilà les mots qu’on peut lire en ouverture de
Crime d’honneur
, roman chorale qui narre sur trois générations des rives de l’Euphrate à l’Angleterre, l’histoire familiale d’Esma, jeune immigrée kurde.
“ Ma mère est morte deux fois. Je me suis promis de ne pas permettre qu’on oublie son histoire, mais je n’ai jamais trouvé le temps, la volonté ou le courage de la coucher par écrit. Jusqu’à récemment, je veux dire. Je ne crois pas être en mesure de devenir un véritable écrivain, et ça n’a plus d’importance. J’ai atteint un âge qui me met davantage en paix avec mes limites et mes échecs. Il fallait pourtant que je raconte cette histoire, ne serait-ce qu’à une personne. Il fallait que je l’envoie dans un coin de l’univers où elle pourrait flotter librement, loin de nous. Je la devais à maman, cette liberté. Et il fallait que je termine cette année. Avant qu’il soit libéré de prison.”
Lui
, c’est Iskander. Le fils de Pembe, la soeur jumelle de Jamila. Iskander est en prison depuis un certain nombre d’années pour avoir tué sa mère Pembe alors qu’il n’était lui-même qu’un adolescent. Qu’est-ce qui peut bien emmener un fils a tué sa mère? C’est ce qu’Elif Shafak va tenter de nous faire comprendre avec virtuosité en quelques 400 pages, et une fin à laquelle croyez-moi, vous ne vous attendez pas!
Crime d’honneur
évoque avec brio le carcan émotif dans lequel enferrent les traditions qui n’ont que faire de l’individualité des êtres, et les drames que peuvent engendrer les élans de coeur brisés. Il y est aussi question de l’honneur, celle des familles qui tient presque exclusivement à la vertu de ses femmes, mère ou filles, et de la difficulté à secouer le joug de la tradition. Sans jamais porter de jugement, l’autrice parvient avec maîtrise et une grande humanité à nous faire percevoir le point de vue de chacun des personnages. Une lecture indispensable pour mieux appréhender l’universel commun.
—”À VOIX NUE”
[GISÈLE HALIMI ]
En 2011, l’avocate Gisèle Halimi, défenseuse passionnée de la cause des femmes, revenait au micro de Virginie Bloch-lainé, dans l’émission “À voix nue”, sur ses combats.
Gisèle Halimi est au nombre de celles dans mon Panthéon féministe personnel qui m'ont emmenée à faire du féminisme une affaire personnelle. Confortée dans la conviction intuitive qu'il n'y avait pas de séparation entre le privé et le public. L'intime et le politique. Cette série d’entretiens sur France Culture est une invitation à ne pas l’oublier.
Pour écouter Gisèle Halimi, se raconter ( 5 épisodes de 28 minutes) dans l’émission “À voix nue”,
cliquez ici
—”BONUS”
Le
8 janvier 1974
, dans l'émission
Aujourd'hui madame
,
Gisèle Halimi
prononce un vibrant plaidoyer en faveur de l'avortement. Mais pas seulement. Outre le fait que la loi pour l’avortement soit à propos du droit de choisir pour toutes les femmes, elle rappelle au cours de cette intervention que le féminisme est une affaire personnelle, s’incarnant dans toutes les dimensions de la vie de celles s’en réclamant.
À
regarder ici
Bonne lecture, bonne.s écoute.s et bon (ne fin ) de dimanche !
Je vous retrouve à la rentrée pour une nouvelle édition.
Prenez soin de vous.
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